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Interview de Stéphane Delalande

11 janvier 2024

Cnam Entreprises propose dans le domaine de l’industrie des formations sur les matériaux industriels, reconnues pour leur qualité et conçues pour le monde professionnel. Stéphane Delalande, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et titulaire de la Chaire Matériaux Avancés et Procédés Innovants au Cnam répond à nos questions.

Cnam Entreprises : Quels sont les grands enjeux industriels de la transition écologique ?

Stéphane Delalande : Pour pouvoir aborder correctement cette question, il faut à mon sens redonner quelques chiffres et situer clairement le contexte. La France et plusieurs pays ont signé l’accord de Paris qui donne un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Parallèlement à cela, il faut avoir à l’esprit que l’industrie est le 3ème secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre dans le monde et le 4ème en France hors production d’électricité. En effet, la production d’électricité reste le premier secteur émetteur dans le monde avec une part d’environ 40%. Ainsi, il faudra garder à l’esprit que les actions devront concerner à la fois l’industrie manufacturière mais aussi la production d’énergie. De plus, les enjeux industriels devront prendre en compte en plus du changement climatique, 3 autres enjeux majeurs : la raréfaction des ressources, la multiplication des risques sanitaires environnementaux et la perte accélérée de biodiversité. Les objectifs que les nations se sont fixés vont donc impliquer une remise en cause des systèmes de production, avec par exemple la mise en place de procédés moins gourmands en énergie, mais également d’éviter de s’engager sur des voies uniques qui induiraient des effets rebonds à court et moyen terme, comme la raréfaction rapide de ressources minérales ou la destruction des équilibres écologiques.

De ces faits, l’industrie va devoir se tourner vers des solutions liées à l’économie circulaire, minimiser son impact environnemental (préservation des milieux naturels, des sols, des ressources en eau…), se désengager des énergies fossiles et réduire ses consommations.

Cnam Entreprises : Industrie décarbonée et transition écologique : est-ce compatible ?

Stéphane Delalande : A-t-on encore le droit de se poser cette question de compatibilité ? Ce n’est plus un problème de savoir si l’humanité devrait faire ces choix de décarbonation pour préserver notre environnement mais comment nous allons les faire. Notre challenge est de le rendre compatible. Toutefois, le danger est de devenir dogmatique, ce qui présente en fait une solution de facilité. A mon sens, il faut à chaque fois que nous trouvions une solution technique ou technologique de remplacement ou d’amélioration se poser la question : est-ce meilleur pour l’environnement que la précédente ? Ceci fait partie du rôle des politiques qui devront se baser sur les connaissances ou méconnaissances apportées par les scientifiques. Il ne faut surtout pas inverser les rôles, les scientifiques sont là pour proposer des solutions, donner les instruments de mesure et les métriques de ce qui est appelé bénéfice/risque dans certains domaines, présenter les incertitudes et les politiques sont là pour décider. Si chacun joue son rôle, nous trouverons des solutions compatibles entre la transition écologique et une industrie respectueuse de l’environnement, prospère et surtout au service de l’amélioration de l’humanité. Même si je dois choquer une partie de nos lecteurs, je ne crois pas que nous pourrons nous passer à 100% de sources carbonées. En revanche, il faudra les utiliser pour des applications indispensables et non pour une course effrénée vers des profits de courts termes qui mettent en péril l’avenir. Il ne faut pas être doctrinaire.

Cnam Entreprises : Dans ce contexte de profond changement, comment vont évoluer les besoins métiers dans l’industrie ?

Stéphane Delalande : Il va effectivement y avoir de profonds changements dans l’industrie mais, à mon sens, il faut savoir garder les fondamentaux. Pour pouvoir proposer des nouvelles solutions technologiques, nos ingénieurs, nos scientifiques devront toujours maitriser les fondamentaux de leur domaine. Les grands peintres, avant de révolutionner leur art, ont maitrisé les bases. Il doit en être de même pour les enseignants-chercheurs et nos étudiants. Ensuite, chacun devra avoir une coloration transition environnementale, pour que les activités aillent dans le sens de l’objectif commun. Les cibles sont connues, il faut que les rameurs et les barreurs, qui sont déjà des personnes bien formées, regardent dans la même direction. Bien sûr, de nouvelles technologies vont apparaître, des nouveaux procédés également, mais ce sont les maitrises de ce que les pratiquants d’arts martiaux japonais appellent les « Kihon » (principe fondamental) qui feront la différence et permettront aux étudiants de s’adapter aux nouveaux métiers qui pourraient exister.

Cnam Entreprises : Quels sont les atouts de l’industrie française pour relever ces défis ?

Stéphane Delalande : Avant de parler des atouts de notre industrie, je vais m’attarder sur les atouts pour notre industrie. Le premier est la volonté politique de réindustrialisation de la France. C’est un des leviers majeurs. Il faut bien évidemment se concentrer sur les technologies liées à la transition environnementale. Toutefois, il ne faut surtout pas oublier les « anciennes industries » qui sont la base des nouvelles. Il faudra toujours des métaux, des polymères, des matériaux de construction… mais ces industries devront se réinventer pour diminuer au maximum leur empreinte carbone. De plus, notre système d’instruction et d’éducation est excellent, nous formons des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens de grande qualité. Ils ont les compétences requises pour transformer l’industrie. Il faut juste que les entrepreneurs, qui ont la volonté de changer comme l’indique des études récentes, se rendent compte que les compétences pour l’adaptation et le renouvellement de notre outil industriel existent déjà. Il suffit de donner aux personnes les bons objectifs et la bonne vision.

Quant à l’industrie française, elle est depuis bien longtemps devenue agile. Prenons l’exemple de notre industrie automobile qui a su très rapidement transformer son offre purement thermique en une offre électrique de grande qualité. Depuis plus de 10 ans maintenant, des groupes comme Stellantis et Renault ont introduit des matériaux issus du recyclage ou de ressources renouvelables. De nombreuses usines sont recouvertes de panneaux photovoltaïques pour sourcer localement l’énergie. Les exemples sont déjà nombreux.

De plus, notre recherche est innovante et les industriels savent maintenant collaborer avec le monde académique pour faciliter les transferts technologiques. Les laboratoires communs et les partenariats sont de plus en plus nombreux, avec des outils mis en place par les différents gouvernements et par l’Europe pour fluidifier les échanges.

Pour atteindre les objectifs fixés, il va falloir un engagement collectif de la société autour de projets clairs et cohérents pour notre avenir commun.

Retrouvez notre offre de formation dans le domaine de l'industrie.