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L'Intelligence Artificielle (IA) : Comment en faire une technologie au service de l'emploi et du travail ?

13 janvier 2025

L’émergence de l’IA soulève de nombreuses interrogations pour le monde du travail, tant en termes d'opportunités que de risques. Quels enseignements pouvons-nous tirer des résultats empiriques en économie et en ergonomie, et comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser une utilisation harmonieuse et avantageuse de l’intelligence artificielle ?

L'intelligence artificielle suscite un fort intérêt politique et socio-économique qui va bouleverser le monde du travail. Plusieurs pays ont mis en place des stratégies pour encadrer le développement de l'IA (programme national de recherche en IA, un règlement harmonisé sur l’IA adopté au niveau européen…).

Les interrogations sur l'IA au travail ne datent pas d’aujourd’hui. Dans les années 1960-70, les premiers systèmes d’IA, basés sur des modèles cognitifs prédéfinis, étaient utilisés comme des outils d’assistance mais leurs usages étaient limités. Aujourd’hui, les systèmes utilisent des algorithmes d’apprentissage profonds et des réseaux de neurones artificiels qui sont bien plus performants et capables de réaliser des tâches cognitives sans modèle prédéfini. Certains systèmes d'IA sont spécialisés dans l'analyse d'images ou de la maintenance prédictive tandis que d'autres comme ChatGPT sont capables de traduire, de générer du texte et des images. Ces IA génératives pourraient devenir des outils professionnels comme les moteurs de recherche.

Les récentes avancées de l’IA sont pour les acteurs économiques des opportunités d'automatisation et de transformation des systèmes de production. Les attentes liées à l'IA sont fondées sur trois grands principes :

  • Améliorer le travail humain : l'IA doit accroître les capacités humaines, réduire les erreurs et alléger les tâches répétitives.
  • Créer de l’emploi : l'IA pourrait stimuler l'innovation, générer de nouveaux emplois et favoriser une réindustrialisation, pour l’économie européenne.
  • Répondre à la pénurie de main-d'œuvre : face au vieillissement de la population, l'IA pourrait pallier le manque de ressources.

Ces grands principes n’ont pas encore assez fait l’objet d’évaluation scientifique dans un contexte donné. En revanche, l’intégration des systèmes d’IA (SIA) dans le monde du travail présente des risques considérables comme par exemple :

  • Le remplacement partiel ou total de l'humain : l'automatisation des tâches, y compris celles dites "cognitives" et spécialisées, peut réduire les compétences humaines et déqualifier certains métiers. Les modèles d’IA sont limités cognitivement et ne permettent pas de remplacer l'humain dans la réalisation de tâches complexes. Si ces limites sont ignorées, cela pourrait nuire à la fiabilité des décisions, à la crédibilité des professionnels, et à leur bien-être.
  • La dépendance croissante aux algorithmes et aux contraintes organisationnelles : l'introduction de l'IA dans le travail entraîne une subordination accrue aux systèmes algorithmiques, avec le développement du management algorithmique et la rigidité des règles organisationnelles. L'IA est utilisée pour attribuer, optimiser et surveiller les tâches. Cela pourrait réduire l'autonomie des professionnels, diminuer leur pouvoir décisionnel et privilégier l'optimisation des performances individuelles au détriment du collectif.

  • La collaboration IA et humain : elle serait bénéfique puisqu’elle permettrait d’augmenter les capacités de l’IA et de l’humain. L'IA améliorerait les capacités humaines et les humains formeraient l'IA. L’IA d’aujourd’hui ne dispose pas de compétences cognitives et sociales pour pouvoir parler d’une collaboration.

Si les SIA peuvent améliorer la productivité et transformer le monde du travail, leur intégration dans les organisations pose des questions sur l’autonomie des travailleurs, le travail collectif, etc. Il faut adopter une certaine approche qui reconnaît que l’IA peut améliorer plusieurs aspects du travail tout en évitant les risques de substitution. Une analyse critique des recherches récentes en économie et ergonomie met en garde contre le "solutionnisme", qui considère les technologies comme des réponses à des problèmes complexes liés à la santé, à la performance ou à la réduction des coûts.

L'introduction de l'IA dans le travail ne détermine pas automatiquement ses usages sociaux et organisationnels. Ces effets sur l'organisation du travail et l'emploi dépendent des décisions managériales influencées par des rationalités financières et techniques se déroulant dans un contexte problématique (manque de personnel, surcharge de travail, etc.). Ces décisions ne prennent pas toujours en compte le travail réel et ces contraintes privilégiant souvent la technologie comme solution à des problèmes dont les causes sont systémiques.

Du point de vue économique, l'introduction d'une technologie émergente ne conduit pas nécessairement à une transformation technologique dans une entreprise. Celle-ci peut sous-utiliser la technologie ou ne pas en anticiper les effets négatifs.

L’IA peut être une bonne chose pour l’humain (réattribution de compétences dans les métiers, préserver la santé des travailleurs …) mais risque d’entraîner une réduction des ressources (restructurer les métiers, perte de l’expertise …). La recherche et les politiques publiques ont un rôle à jouer en amont plutôt que de corriger les problèmes lorsqu’ils se manifestent en aval.

Pour favoriser des usages soutenables de l'IA, deux éléments sont essentiels :

  • L'usage des SIA doit être intégré dans des modes de travail durables.
  • L'introduction de l'IA doit viser à améliorer la qualité des connaissances générées et à faciliter l'exploration de nouveaux savoirs.

Le développement de l'apprentissage organisationnel favorise une utilisation durable de l'IA. Cependant, les entreprises ont privilégié les investissements technologiques au détriment de cet apprentissage. Les projets participatifs qui intègrent les pratiques réelles du travail, maximiseront les bénéfices de l'IA. Le dialogue social pourrait encourager ces investissements. Il est donc essentiel de surveiller l'innovation soutenue par l’État, suivre les dépenses de la recherche et du développement. Il faut également prêter attention aux inégalités de genre et aux tensions entre le développement de l'IA et des technologies vertes.

Source : https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/295603-lintelligence-artificielle-lemploi-et-le-travail